Dans le cadre de leur formation, les étudiants de troisième année ont participé à un module de jeu face caméra. Une première approche pour certains, une expérience complémentaire pour d’autres qui ont déjà tourné dans des courts-métrages pour des projets extra-scolaires.
Interview avec Vincent Cardona, réalisateur lyonnais qui anime ce module auprès de nos étudiants.
Pouvez-vous vous présenter, nous parler de votre parcours, de votre métier ?
- J’ai fait une école de cinéma, la Fémis (Paris) en 2006 et je suis sorti en 2010 mais avant ça, je faisais des études en philosophie ! J’ai grandi dans un petit pays des Côtes d’Armor en Bretagne qui s’appelle le Mené. Il n’y a pas beaucoup de cinéastes ni de techniciens qui travaillent dans le cinéma, donc ce n’était pas du tout une évidence pour moi que de travailler dans le cinéma. Et c’est venu progressivement à mesure que je poursuivais mes études plutôt littéraires. Et dans le lycée dans lequel je faisais ma prépa, il y avait une prépa ciné sup, qui était la seule prépa en France qui préparait aux concours des grandes écoles de cinéma. Sachant qu’à l’époque, il n’y avait que deux grandes écoles de cinéma publiques : Louis Lumière et la Fémis, et les deux étaient à Paris. Depuis, une troisième école de cinéma publique a ouvert à Lyon : la Ciné-fabrique, dans laquelle j’interviens régulièrement. Quand j’ai découvert ces écoles, je me suis dit que je passerai les concours quand je me sentirai prêt. Je l’ai tenté après avoir rendu mon mémoire de maitrise de philo, je ne l’ai pas eu la première fois, mais j’ai pu avoir une première approche et ça m’a permis de murir mon projet. Je l’ai retenté l’année suivante, en étant prêt. Je suis rentré assez tard finalement puisque j’avais déjà fait des études avant, et quand je suis sorti avec mon diplôme, j’avais 30 ans. Donc aujourd’hui je suis réalisateur et scénariste (parce que réalisateur, on ne l’est qu’au moment du tournage). Mon film de fin d’études « Coucou les nuages » a été sélectionné à la Ciné-fondation, la partie « écoles de cinéma » au festival de Cannes, il a eu le 2ème prix et ça a inauguré le début d’un parcours dans les festivals du monde entier ! Ça m’a permis de rencontrer des producteurs qui étaient intéressés pour mon travail et ça m’a apporté beaucoup de chance parce que depuis que je suis sorti de l’école, j’ai été soutenu, accompagné par des producteurs. Ensuite je suis rapidement passé à l’écriture d’un long-métrage, avec un premier producteur. Ça n’a pas pu se faire, alors je me suis lancé dans un autre projet avec un autre producteur, qui n’a pas pu se faire non plus. Finalement je suis revenu à mon premier projet, et aujourd’hui il est en cours ! Ça fait 2 ans qu’on est sur ce projet, et normalement on devrait tourner à l’automne.
Pourquoi avoir fait le choix d’intervenir dans des écoles de théâtre avec des futurs comédiens de théâtre plutôt qu’avec de futurs acteurs ?
- Je ne suis pas sûr de faire une vraie distinction entre les deux. C’est très intéressant pour moi de travailler avec des comédiens de théâtre, parce que ce n’est pas l’évidence pour eux et donc ils ont une vraie curiosité par rapport aux différences que ça induit. Ça permet également de se reposer des questions fondamentales qu’on ne se pose jamais assez, comme « Qu’est-ce que ça veut dire ´diriger’ un acteur ? Comment aider quelqu’un à jouer ? Qu’est-ce qu’on cherche à obtenir ensemble ? Qu’est-ce qu’on peut mettre en place comme dispositifs pour mieux réussir une scène ? ». Même dans le choix des scènes c’est intéressant, surtout quand il s’agit d’apporter de la vraisemblance ! Il y a vraiment une appétence, une gourmandise chez les comédiens de jouer, de s’approprier cet autre rapport au jeu qu’est le jeu face caméra. Cette énergie-là, elle est précieuse, elle est belle. Avec des jeunes dans une énergie théâtrale qui ont un certain rapport au texte, au corps, avec une spatialisation qui est assez différente finalement, ça m’a beaucoup rappelé des moments avec le Conservatoire pendant mes études, et c’était un des moments forts de mon apprentissage !
Pouvez-vous nous parler de ce module de jeu face caméra que vous animez à Arts en Scène ?
- J’ai fait plusieurs interventions et à chaque fois, j’essaie d’en affiner le dispositif de façon à ce que ça soit intéressant pour tout le monde, moi y compris. Ce qui m’intéresse, c’est d’être concret et utile : il faut que ça leur serve. Donc l’idée était très simple : on a deux fois deux jours, sur deux semaines. On commence par un casting et je les rencontre par ce biais, comme je rencontrerais des comédiens pour la première fois. Et j’utilise le fait qu’on ne se connaisse pas pour leur faire vivre une vraie expérience de casting, avec l’appréhension que ça génère. Ensuite, on en discute tous ensemble. On échange sur leurs ressentis, je leur dis ce que j’ai pensé des uns et des autres, comment ils se sont débrouillés… Puis, dès l’après-midi de ce premier jour, on commence à chercher le texte qui sera la base des courts-métrages. Sachant que comme on n’a que deux jours de tournage, on fait une scène avec tous les comédiens, et ensuite des scènes par binômes. Donc dès la première journée, il s’agit de trouver les textes et pendant qu’ils cherchent, on répète déjà. Et durant toute cette partie, indirectement, on parle de ce qu’est le jeu face caméra, et de ce que ça va être dans la mesure où on va tourner ensemble la semaine qui suit ! Le défi, c’est qu’à la fin de la deuxième journée chacun sache ce qu’il va jouer, dans quel endroit, avec quel décor et quels costumes… Ce qui leur permet d’aller chercher tout ce dont la scène a besoin pour atteindre la vraisemblance qu’on recherche dans le cinéma. Puis on se retrouve la semaine d’après pour tourner. Je viens avec des techniciens professionnels pour le son et l’image, et on est au service du jeu des comédiens. Ce qui nous intéresse, c’est vraiment de prendre le temps, les plans, le découpage, car l’objectif c’est la pure expérience du comédien qui joue devant une caméra. Puis on se quitte à la fin du tournage : le module ne dure que quatre jours mais on a eu le temps de tisser une relation assez intense mine de rien. Puis, de notre côté on travaille sur la post-production pour faire le montage, l’étalonnage, etc, pour arriver à des petites scènes qui tiennent la route en tenant compte du temps et des conditions. L’idée c’est d’arriver à quelque chose qui soit suffisamment valorisant pour eux en tant que comédien, qu’ils sentent que ce n’est pas si compliqué que ça, et aussi qu’ils puissent utiliser ces courts-métrages dans le cadre d’une bande démo ! Ils sont à un moment charnière car ils viennent de finir leur formation à Arts en Scène, un moment de transition où ils cherchent à travailler en tant que comédiens mais la plupart n’ont jamais tourné, donc ils n’ont pas la matière pour faire une bande démo ! Et ensuite la dernière phase, c’est de regarder les scènes, de les commenter, les analyser ensemble.
Pensez-vous que des interventions pour familiariser les futurs comédiens à l’approche cinématographique est un atout dans leur parcours théâtral ?
- Je suis sûr que ça leur apporte. Ils sauraient mieux le dire que moi, mais je suis persuadé qu’au fond c’est la même chose. Certes il y a un rapport de technicité qui est différent mais justement, l’une enrichit l’autre et je pense même que c’est une sorte de bonne hygiène de passer de l’un à l’autre, ça permet de renouveler son rapport au jeu, ça renouvelle ses envies, ses enthousiasme… Je ne sais pas dans quelle mesure ça les aide, mais ça ne peut leur faire que du bien, ça enrichit leur formation. Et encore une fois, ça renouvelle les questions qu’on peut se poser, l’interrogation qu’on peut avoir sur son rapport au jeu, et même plus fondamentalement sur la raison pour laquelle on fait ce métier ! On est vite confronté à un fantasme avec le cinéma, avec la représentation des acteurs, de ce système… Donc à moins de grandir dans un milieu théâtral, on passe d’abord par le cinéma, et on arrive ensuite au théâtre, donc il y a un rapport très fort de fantasme par rapport au cinéma. Moi, j’ai le sentiment qu’à travers ce petit module, chacun est mené à se réinterroger, se demander s’il veut faire du théâtre, du cinéma ou les deux ! Et ce sont des questions qu’on se pose toute notre vie dans ce métier. Et c’est une bonne chose, car ça nourrit la pratique ! Parce que c’est court, parce que c’est drôle, parce qu’il n’y a pas d’enjeux, et de toute façon, dès lors qu’on sort de la routine, ça nourrit son jeu et c’est intéressant de l’expérimenter.